
Le quatrième mur
un film de David Oelhoffen
d'après l'oeuvre de Sorj Chalandon
par Erwan Foucault
Nous sommes en 1982, un metteur en scène vieillissant et malade demande à un ami comédien de partir au Liban monter la pièce de théatre « Antigone » avec des acteurs issus des différentes communautés libanaises.
Projet fou, tellement la tension est grande entre les communautés chrétiennes, musulmanes, druzes et d'autres encore, que nous allons découvrir au fur et à mesure du film.
N'ayant pas lu le livre, je ne savais à quoi m'attendre, mais le film et la virtuosité du réalisateur m'ont emmené de bout en bout de ce rêve éveillé.
En accompagnant le protagoniste principal Georges ( excellent Laurent Lafitte ) dans cette quête visant à rassembler les différentes factions d'une guerre qui déchire le Liban, on rencontre des hommes et femmes englués dans leurs principes et leurs vengeances, sans jamais tomber dans le stéréotype.
Certains nous semblent sans doute plus antipathiques que d'autres, mais nous sommes en mesure de comprendre leurs motivations, quand bien même elles amènent à commettre des actes parfois insoutenables.
La réalisation nerveuse de David Oelhoffen ne nous laisse pas souffler, des scènes où le taxi de son guide Marwan est pris pour cible jusqu'au contrôle par des milices musulmanes, nous voyageons tout autant que Georges au milieu d'un pays en ruine où l'homme ne peut que être un loup pour l'homme.
Dès lors les répétitions d'Antigone résonnent alors comme un espoir, un premier pas vers la reconnaissance d'une commune humanité, et cette tentative de monter « Antigone » dans un théâtre en ruine, semble être la solution à tous les maux que la guerre engendre, les visages des comédiens s'illuminant dans ces quelques instants, une trêve impossible se dessine alors devant nos yeux.
Sans dévoiler plus l'histoire, que l'on devine tragique, si l'on connait l'histoire du Liban, chaque comédien est au niveau, perdu dans cette guerre fratricide absurde.
Comment ne pas tomber amoureux d'Imane, « Antigone » palestinienne et ne pas s'attacher à Marwan, le guide druze et à la troupe hétéroclite des comédiens.
Jusque dans son dénouement, le film reste sobre et précis. Georges devra faire des choix impossibles et se perdre dans le conflit. Point d'espoir, la vengeance ne servira jamais à résoudre le conflit, et le film résonne ainsi, aujourd'hui encore, dans l'actualité du conflit israélo-palestinien.
Un film comme un écho à ces mots de Shakespeare, dans Le Marchand de Venise :
«Je suis Juif. Un Juif n’a-t-il pas des yeux ?
Un Juif n’a-t-il pas des mains, des organes, un corps, des sens, des désirs, des émotions ?
N’est-il pas nourri par la même nourriture, blessé par les mêmes armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes moyens, réchauffé et refroidi par le même hiver et le même été, qu’un chrétien ?
Si vous nous piquez, est-ce que nous ne saignons pas ?
Si vous nous chatouillez, est-ce que nous ne rions pas ?
Si vous nous empoisonnez, est-ce que nous ne mourons pas ?
Et si vous nous outragez, ne nous vengerons-nous pas ?
Si nous sommes comme vous pour le reste, nous vous ressemblons aussi en cela.
Si un chrétien est outragé par un Juif, quelle est sa charité ? La vengeance !
Si un Juif est outragé par un chrétien, quelle devrait être sa patience, d’après l’exemple chrétien ?
Eh bien, la vengeance !»