
par Ana Igluka
extrait :
"A cette époque bien lointaine, des quantités d'ouvrages traitant de médecine ou encore d'astronomie furent saccagés par les nouveaux conquérants qui les jetèrent dans le Tigre.
Mais on raconte que les eaux avaient tellement bu d'encre qu'elles en changèrent de couleur. Même détruits, les livres avaient déteint sur le fleuve, pigmentant de leur encre indélébile l'eau de la ville.
Une métaphore symbolique celle de la résistance des mots même quand ils sont condamnés à l'oubli."
Ce récit de la destruction de la grande bibliothèque de Bagdad est livré par Ahmad, l'un des passeurs de livres, à sa narrataire Delphine Minoui pour illustrer sa certitude profonde : son aventure ne s'éteindra jamais. Comme un écho, Delphine Minoui, lui raconte l'histoire de la Bebelplatz de Berlin : en réponse à l'autodafé perpétrée par les nazis en 1933, le sculpteur israélien Micha Ullman réalise en 1995, l’œuvre La bibliothèque engloutie qui restera exposée à jamais.
Ces récits de bibliothèques, symboles de la liberté de penser, précèdent ce petit livre. Quelques grammes de papier pour édifier un monument de grandeur et d'espoir : l'histoire de la bibliothèque de Daraya.
Entre l'emprise des factions djihadistes et les bombes du régime syrien appuyé par la Russie, les résistants pacifistes de la ville de Daraya sont diffamés et martyrisés par l'armée du tyran Assad. Condamnés comme "terroristes islamistes" à une époque où l'Occident découvre Daech, Daraya est irrémédiablement amalgamée et violentée par les pires atrocités : bombes barils incessantes, gaz sarin, napalm... Pourtant, à Daraya, les rebelles sont historiquement pacifistes et doués d'un esprit libre. Ils luttent, sans arme et sans défense, depuis 2010 alors que partout autour s'étend le régime de terreur et d'arbitraire (cf La Coquille de Moustapha Khalifé). C'est dans ce décor infernal qu'à quelques kilomètres de Damas, au fond des entrailles de Daraya, une poignée d'hommes et de femmes, construit, cache et chérit le secret de sa résistance : un sanctuaire de livres. Suivons Ahmad, Hussam, Omar, Ustez et Shadi au cœur de la guerre, de jour et de nuit hantés par la mort. Ces jeunes hommes, qui n'ont pas atteint 30 ans et pour qui, à travers la poussière des ruines, les livres se font lumières. Les lumières d'une ville qui ne s'éteindront jamais.
Dans ce récit, Delphine Minoui, n'oublie pas l'engagement des femmes, invisibles et anonymes pour leur sécurité, qui trouvent dans ce trésor de papier une place de tisseuses : elles font le lien, elles nouent et dénouent...
Ce livre est un magnifique hommage à la Liberté, à garder contre son cœur.
Le travail de Delphine Minoui, compilant et retraçant les témoignages de ses compagnons de Daraya a aussi donné naissance à un film documentaire : Daraya la bibliothèque sous les bombes diffusé en mars 2019 sur France 5.